GALON.- Signe distinctif de bêtise. « Le pouvoir rend bête », a dit Alain. Difficile de dire si un tel est plus bête qu’un autre, sauf dans une armée. On comprend pourquoi le petit caporal prenait soin de ne point imiter les chamarrures de ses maréchaux.
GANT.- Petite pièce d’habillement en forme de main qui servait jadis à provoquer son adversaire en duel. Avec le temps, l’usage du gant est devenu plus prosaïque puisqu’il sert désormais à protéger du froid et des souillures de la vie les doigts précieux et potelés des commerçants, des financiers et des comptables qui sont, comme chacun sait, l’élite de nos sociétés. Ne jetez pas votre gant à ces gens-là : ils le ramasseraient sans doute pour le vendre et vous vous retrouveriez tout bête, votre épée à la main, aussi démuni et pitoyable que Don Quichotte devant un moulin à vent. L’argent n’a pas d’honneur.
GASTRONOMIE.- Il est deux façons pour l’homme de se sustenter humainement : manger tout seul dans son coin ou être gastronome. Quel dommage qu’aucune société n’ait inventé l’usage de petits édifices où l’on prendrait de la nourriture, à l’abri des regards importuns ! À défaut, il reste la gastronomie, mais à quel prix ! Tous ces gens qui s’empiffrent et vident des godets, à heures fixes, en bandes, ce n’est pas là une image propre à rehausser le blason de l’humanité.
GAUCHE.- Ensemble des individus insatisfaits. La gauche est un humus fécond où s’entremêlent toutes les désillusions : celles des arrivistes déçus, des artistes et des écrivains ratés, des femmes mal baisées, des pauvres et des moins pauvres avides de richesses, des refoulés, des intellectuels armés, des laissés pour compte de toutes sortes. De ce bourbier naissent pourtant toujours les grandes idées, les avancées, les créations. Une société privée de gauche serait sans lendemain. Ce qui peut arriver de pire à la gauche, c’est de parvenir au pouvoir ; alors, elle dégénère, prend des allures de comptable, de droite ; bientôt, elle étouffe dans les vêtements étriqués de la responsabilité, de l’ordre, de la gestion. La gauche n’est pas faite pour le pouvoir, pas plus que la droite n’est faite pour imaginer, pour progresser. Quand, dans un pays, la gauche est enfantine et la droite agressive, on assiste bientôt à des querelles prémonitoires d’une révolution, voire d’une guerre civile. Les dictateurs éclairés le sont toujours par un embrasement.
GÉNÉRAL.- Homme de guerre qu’il vaut mieux éviter de fréquenter en son particulier.
GÉNÉRALEMENT.- Presque jamais.
GÉNÉRALISATION.- On rit encore de l’Anglais qui, débarquant à Calais et apercevant une femme rousse, roussit illico toutes les Françaises (c’est, décidément, une manie chez les Anglais) ou du chat échaudé craignant l’eau froide, il n’empêche : généraliser est la première manifestation de l’intelligence. C’est la généralisation qui est à la base, chancelante, il est vrai, de nos plus belles lois scientifiques. Poussant plus loin les feux de notre intelligence, nous avons conçu les exceptions, germes de toutes les nuances, si nombreuses, si variées et avérées, que nous ne savons toujours pas où nous en sommes et où nous allons.
GENTLEMAN.- Mauvaise copie de gentilhomme.
GESTICULATION.- jeu de mains pratiqué par un orateur soit parce qu’il n’est pas sûr de la fiabilité de ses propos, soit parce qu’il espère ainsi divertir et troubler son auditoire de façon à lui faire admettre au moins une partie de ses mensonges. Il suffit de passer quelques minutes devant un débat ou un journal télévisé pour s’apercevoir que rares sont les intervenants qui gardent leurs mains immobiles.
GOUVERNER.- Administrer le présent et gérer le devenir d’une société. Bien gouverner, c’est surtout soigner les bourgeons et arracher sans douleur les feuilles qui vont mourir, lutter sans cesse contre le conservatisme sans tomber dans un progressisme outrancier et destructeur. Gouverner, c’est inciter et punir, maîtriser le futur et empêcher le passé d’étouffer le présent, tout en maintenant la bonne circulation de la sève, débrayer, accélérer, freiner, toujours à bon escient, au bon moment, et souplement. Si tous les gouvernants faisaient bien leur métier, point ne serait besoin d’enfanter des tyrans.
GRADE.- Degré de bêtise. Dans les armées, l’attribution des grades s’effectue en fonction du quotient intellectuel. À quotient intellectuel égal, on retient la bravoure ou, s’il n’y a point de guerre, la fanfaronnade. Dans ces conditions, les abrutis grandes gueules ont toutes chances de devenir des généraux à plusieurs étoiles.
GUERRE.- Objet de la polémologie, science chère à Gaston Bouthoul, la guerre est un rite sanglant collectif propre à dégager la suprématie d’un groupe social – famille, tribu, État – sur les autres. Une guerre est toujours porteuse d’une autre. Le temps de paix, comme celui d’aimer, ne dure guère.
GUEULE.- Représentation collective majoritaire du visage d’un individu. Gueule d’abruti, gueule de gangster, gueule d’ange, belle gueule, vilaine gueule… « À trente ans, on a la gueule qu’on mérite », selon Degas. Contresens effroyable : ce sont plutôt les passants qui vous dévisagent qui ont le mérite de la gueule qu’ils vous attribuent.
GUICHET.- Trou permettant à un administré de communiquer avec l’administration.