CANDEUR.- État de propreté de l’âme qui ne s’est pas encore souillée au contact des méchants, des malins, des fourbes, des hypocrites, des diplomates, des rusés, des calomniateurs et autres enquiquineurs de tout poil.

CANDIDAT.- Sujet prédisposé à la mégalomanie. Évidemment, le degré d’affection s’apprécie par comparaison entre les aptitudes et la position du candidat et les fonctions ou le titre auxquels il aspire : entre le fort en maths qui se présente au concours de Polytechnique et le béotien qui prétend devenir président de la République, la différence est, à peu près, comparable à celle qui sépare le grippé du tuberculeux. Ne jamais être candidat à quoi que ce soit suppose une âme d’une pureté touchant à la candeur ou une intelligence tellement vaste qu’elle éprouve le besoin de se reposer sur le moindre honneur. Si votre intelligence vous pèse et si vous désirez l’amoindrir, portez-vous candidat, postulez, aspirez, prétendez, briguez, présentez-vous. Chargez-vous du pouvoir et le pouvoir se chargera de vous.

CAPITALISME.- Organisation sociale postféodale qui a adapté la féodalité à l’industrialisation et à l’essor du commerce. L’entreprise a remplacé le domaine, le chef d’entreprise le seigneur, les salariés les serfs. Le lien de subordination, expression figurant dans le code du travail, n’est autre que l’ancienne vassalité. L’obligation de fidélité fait du cadre un homme lige. Il n’est pas jusqu’aux grèves qui ne fassent penser aux coteries et aux jacqueries. La trêve de Dieu a lieu au mois d’août : les guerriers chefs d’entreprise remettent leur épée au fourreau, les serfs salariés peuvent musarder dans les champs sans crainte d’être fauchés, à moins de l’être par un licenciement collectif préparé en catimini, séquelle d’une guerre mal engagée et perdue par leur vénéré seigneur. Le capitalisme n’a rien inventé. Ce n’est que la féodalité mise au goût du jour. Même les croisades ont, pendant longtemps, perduré ; celles menées contre le socialisme, équivalent de barbarie. À présent que les barbaresques sont défaits, que va-t-il advenir de nous ?

CERTITUDE.- Confort spirituel sur un point précis procurant à l’âme une béatitude certaine quand elle s’accroche à ce point. Entre deux certitudes, l’esprit erre à l’aventure dans un vide interstellaire parsemé de dangereux météorites. Il faut être un esprit fort pour avoir peu de certitudes sans sombrer dans la folie. Les esprits faibles le savent instinctivement qui accumulent les certitudes. Ce qui explique le séisme que provoquent généralement chez un individu un drame, une grande douleur, un événement catastrophique, c’est que les drames, les douleurs, les catastrophes ont pour effet de balayer les certitudes, ces anticorps précieux qui nous mettent à l’abri des plus graves maladies de l’âme. Il est bon, certes, d’avoir des certitudes. Il est tout aussi recommandé d’en changer volontairement, de temps en temps, sans attendre qu’elles s’usent, sans attendre non plus que les vicissitudes de la vie vous obligent à les changer.

CHANGEMENT.- Évolution visible. L’homme, impermanent, évolue imperceptiblement ou par à-coups. L’être humain que vous côtoyez quotidiennement évolue chaque jour sous vos yeux aveugles ; il ne change pas puisque vous ignorez son évolution. Il faut un à-coup, provoqué par une circonstance particulière, pour que son évolution soit brusque et donc perceptible. Si vous revoyez une personne après un intervalle de quelques années cruciales, le changement vous sautera aux yeux, alors même que son évolution se sera faite lentement, imperceptiblement, sans à-coups. Ceci est vrai pour l’aspect physique et caractériel superficiel. En vérité, le fond d’un homme n’est pas si impermanent que cela. Très souvent, vous ne mentez qu’à moitié quand, en revoyant une connaissance vingt ans après, vous lui déclarez tout de go : vous n’avez pas changé. Parfois, ironie, c’est vous qui avez changé, c’est-à-dire le regard que vous portez sur les gens ; ou bien encore, vous vous mentez à vous-même en ce sens que l’autre a terriblement changé entre temps et qu’en lui affirmant qu’il n’en est rien, c’est vous que vous voulez rassurer sur le point de savoir si vous avez vieilli.

CHÔMEUR.- Victime expiatoire offerte aux dieux de la bêtise économique. Les crises économiques sont avant tout des crises de l’intelligence qui se repose sur la routine, les idées qui ont fait recette, les tabous. Le libéralisme à n’importe quel prix est une insulte à la raison, à la prévision, à l’organisation, à la rationalisation de la modeste intendance. Il ne saurait y avoir d’explication satisfaisante pour l’esprit au chômage. Le chômage est uniquement dû à la faiblesse du coefficient intellectuel moyen des chefs d’entreprise. Une entreprise qui licencie devrait commencer par licencier son chef. Une société politique capable de tolérer le chômage devrait disparaître puisqu’elle n’a pas rempli son rôle principal qui est d’occuper tous ses membres sans exception. Le chômage est le père de tous les vices. Accepter le chômage au nom de sacro-saints dogmes économiques qui masquent, sous l’étiquette du libéralisme, une pensée primaire, grossière, primitive, c’est accepter la maladie plutôt que de toucher au corps du malade. Il n’est pas concevable de se donner des dirigeants qui acceptent comme un mal nécessaire l’idée même du chômage. Autant confier sa vie à un médecin qui accepte la maladie.

CITÉ.- Ancêtre de l’État. Avant la cité, végétait la tribu. La cité est le point de passage nécessaire entre la tribu et l’État. C’est ce que n’ont pas voulu comprendre les fondateurs des États africains. L’Afrique a tenté de passer directement de la tribu à l’État. Dans le meilleur des cas, l’État africain n’est qu’un médiateur entre tribus ennemies ; dans le pire des cas, le plus courant, il a été investi par la tribu. Inutile de rechercher ailleurs les causes de l’impuissance, de la violence, du primitivisme africain.

CIVILISATION.- Politesse des mœurs éloignant une société de la barbarie. La politesse est rarement répandue de manière uniforme sur tous les aspects de la société et la barbarie affleure plus ou moins ça et là, tantôt repoussante, tantôt rafraîchissante. Il est des êtres civilisés à un point tel qu’on a du mal à les imaginer en train de déféquer. Il est, par contre, des individus qui se prétendent civilisés mais qui ressemblent à ces coquettes sales qui s’inondent de parfum pour dissimuler leur négligence à se laver. Le danger de la politesse, c’est l’hypocrisie, le faux semblant. Cette politesse-là fait regretter à certains la pureté de la barbarie ; regret erroné car on ne peut véritablement juger la barbarie sur ce qu’il en reste. Certes, le sans-gêne est amusant, gentiment corrosif. Sait-on qu’à la longue, il est passablement ennuyeux ? Les sociétés vivent plus ou moins bien leur longue lutte contre la barbarie, tantôt exagérant dans la recherche du raffinement, tantôt retournant subitement à l’âge de pierre. Pour vous en rendre compte, rien de tel que de surveiller les modes : ce sont les baromètres de nos incertitudes.

CŒUR.- Au XVIIème siècle signifiait : dignité, fierté, honneur, courage ; au XVIIIème siècle : intelligence intuitive ; au XIXème : affection ; au XXème : endroit où se produit l’infarctus du myocarde. Vicissitudes d’un viscère ou comment un viscère, élevé à la dignité de noble, se mit à raisonner, puis fit la midinette et redevint viscère.

COLÈRE.- Révolte individuelle. La colère est toujours fondée ; est-elle souvent légitime ? Elle est fondée car elle résulte d’un sentiment d’injustice ; or, ce qui paraît injuste, même aux yeux d’un béotien mal informé, est toujours quelque part injuste. Il n’y a pas de fumée sans feu et il n’y a pas non plus de colère sans au moins une parcelle d’injustice. La légitimité de la colère participe d’une autre valeur morale, celle qui juge la finalité. Là intervient, non plus l’injustice, mais la malveillance. Une colère légitime est une révolte contre la malveillance. On peut se montrer injuste sans être malveillant. Quand il y a malveillance, alors la colère est non seulement légitime mais saine. Elle devient le bras de la justice. Toute la théorie judiciaire des circonstances atténuantes tient compte de ces critères. La victime qui, non contente de le trahir, a nargué son assassin inspire naturellement peu de compassion. Le fin du fin en matière de malveillance, c’est trahir, puis narguer, puis tuer en excipant de la légitime défense. Le seul antidote de la colère, c’est le mépris. Encore faut-il en être capable ! Ne méprise pas qui veut.

COMMANDER.- S’abêtir. L’obéissance est peu charitable car elle est complice de l’abêtissement de celui qui commande. Cela n’a l’air de rien mais il existe pourtant tout un monde qui sépare celui qui dit « Faites ceci » de celui qui demande : « Voudriez-vous avoir l’obligeance (ou l’amabilité) de faire ceci ? ». Demandez à un agent de police ou à un militaire ce qu’il en pense. Il vous ordonnera probablement de vous taire. À moins que vous ne soyez son chef…

COMMENCEMENT.- Point fictif dans l’espace ou le temps servant communément de repère pour situer une chose ou un événement. Le choix de ce point est très révélateur, s’agissant surtout des événements. Bien malin celui qui, en vérité, peut dire avec exactitude quand a commencé la guerre de cent ans ou, tout simplement, quand lui est venue l’idée de se marier ou d’avoir un enfant. Il est des commencements brutaux qui se prêtent mieux au repérage, telle la tuile qui vous tombe sur la tête. À l’opposé, certains commencements n’en finissent pas de commencer. Si deux amis se brouillent, quand a commencé leur brouille ? L’un situera l’événement à un jour et une heure déterminés, moment où fut, par exemple, prononcé un mot de trop ; l’autre expliquera ce mot de trop par une attitude plus lointaine dans le temps. Et pourquoi cette attitude avait-elle été prise ? Dans ces sortes d’événements, nous avons chacun nos propres critères pour apprécier les commencements. Où situer le commencement de la fin ? Y a-t-il seulement en toute chose un commencement ? Dieu existe-t-il ?

COMMERÇANT.- Parasite vivant aux crochets des producteurs et des consommateurs. Comme souvent dans les colonies d’organismes, les commerçants connaissent une hiérarchisation qui s’ordonne en fonction de la rareté des produits vendus et, par conséquent, de l’importance des marges bénéficiaires. Le commerçant en articles de luxe se prend pour Dieu le père ; le trafiquant de drogue est Dieu le père ; le petit épicier n’a commerce qu’avec le menu peuple, ce qui ne l’empêche pas de ricaner lorsque ce dernier dresse des barricades. Entre le sommet de la pyramide où les privilégiés ne daignent même pas s’inscrire au registre du commerce et la multitude des colporteurs, vendeurs à la sauvette et autres camelots, grouille tout un monde de piranhas avides, de pickpockets et d’affameurs affables et empressés.

COMMERCE.- Pseudo-activité consistant à acheter un produit le moins cher possible et à le revendre le plus cher possible. Le commerce est né lorsque l'humanité a cessé d'être primitive et donc de vivre dans l'autarcie. Jadis, le commerce était méprisé par les peuples et leurs dirigeants ; ceux qui le pratiquaient étaient considérés comme des fainéants n'ayant même pas la force de faire du vol à l'arraché. De nos jours, le commerce régit une grande partie de l'univers par l'entremise de politiciens.

COMMUNISME.- Doctrine socio-économique selon laquelle la propriété privée doit être bannie au profit de la propriété collective. Après bien des hésitations et des variantes idéologiques, le communisme est devenu une théorie politique avant d’inspirer largement une politique dans certains États soucieux de rattraper ainsi leur retard économique. Depuis l’effondrement de ces États, le communisme est provisoirement rangé au musée des idées politiques étranges et dépassées par leurs excès mêmes. Il y côtoie par exemple le nazisme. Étrange destin que celui d’un courant de pensée qui avait pourtant pour lui tout ce que l’intelligence et le bon sens pouvaient déposer dans le berceau d’une idée naissante. En tant que doctrine, il faut dire cependant que le communisme avait contre lui de vouloir ramener les sociétés humaines à un aspect, certes enviable, mais dépassé, de la tribu. Difficile de l’appliquer tel quel à une société étatisée. Il est vrai aussi que, dans la plupart des États en proie, au XIXème siècle, aux soubresauts de l’industrialisation, avait fini par prendre naissance une tribu, celle des laissés pour compte, des prolétaires, des sacrifiés. En tant que politique, et quoi qu’on en dise, le communisme a, dans le pire des cas, permis aux États qui s’y sont adonnés de geler au moins leur retard de développement. Aujourd’hui au musée, le communisme a de beaux jours devant lui. Premièrement, parce qu’il a imprégné plusieurs générations dans des pays qui, une fois lavés de ses excès, trouveront malgré eux le moyen de diffuser chez leurs voisins son esprit, son essence même. Deuxièmement, et surtout, parce qu’il constitue un moyen de recours lorsque surviendront immanquablement des crises socio-économiques graves entraînant une désorganisation à l’échelle internationale. Ceux qui rient aujourd’hui du communisme ou qui en ont honte seront bien aises d’en retrouver certains aspects lorsque tout ira de travers. Il faudra de toute manière abandonner un jour ou l’autre le laxisme stupide qui règne dans la production et la consommation. Un minimum d’organisation non commerciale sera bientôt nécessaire dans les choses du commerce. Une certaine coercition sera indispensable pour empêcher de fabriquer n’importe quoi pour des acheteurs prêts à consommer n’importe quoi. Dans le séisme sociologique qui se prépare, autant choisir le communisme au détriment d’un autre fascisme de sinistre mémoire. Le communisme, politique extraordinaire à l’usage des périodes catastrophiques, est un peu l’état d’urgence qu’il est parfois nécessaire d’instaurer quand tout le monde tire sur tout le monde, sans trop savoir pourquoi. Quand des peuples entiers meurent de faim et de maladie, le bon sens élémentaire consiste à se demander si cela est naturellement bon et ce ne sont pas des aides humanitaires, même à grande échelle, qui sauveront le capitalisme et le libéralisme de leurs tares.

COMPÉTITION.- Combat opposant deux ou plusieurs individus. Ce qui est intéressant dans une compétition, pour un spectateur averti, ce n’est pas tant le combat lui-même et son résultat, mais bien les comportements et caractéristiques des combattants. Il y a dans les compétitions contemporaines de moins en moins de Don Quichotte. Le compétiteur discipliné et chevaleresque se fait de plus en plus rare. Quand il s’en présente un, il ne reste pas longtemps en lice car il se combat finalement lui-même et s’auto-élimine. Reste la légion des divers Sancho Pansa, plus ou moins avisés, fourbes, déloyaux, avides de victoires, amuseurs de galeries. Le public a un faible pour les combats singuliers. Là, la fourberie se doit d’être plus fine, plus nuancée, plus intransigeante aussi, plus professionnelle. Les combats entre femmes sont tristes, les combats mixtes souvent ridicules. Les combats entre hommes sont vraiment beaux quand, rarement, et même en cherchant loin, aucune femme n’est en jeu.

CONDESCENDRE.- Descendre avec. L’expérience prouve que, lorsque vous descendez vers quelqu’un, il vous aide rarement à remonter ; au contraire, il vous prend pour une échelle et vous marche dessus. Soyez admiré, jamais condescendant. La condescendance est une complaisance du cœur qui joue souvent de mauvais tours. D’ailleurs, elle déçoit. L’idole qui se baisse tombe de son piédestal. La plupart du temps, la condescendance provient de la solitude. Si vous êtes bien au-dessus d’une mêlée, et si vous vous ennuyez tout seul, ne condescendez pas ; achetez-vous plutôt une glace et contemplez-vous : vous serez deux et vous vous tiendrez compagnie. Même Dieu s’est cassé les dents en voulant complaire. Et puis, savez-vous exactement jusqu’où il vous faudrait descendre ? Vous aimez quelqu’un en bas ; vous y allez ; mais ce quelqu’un aime aussi quelqu’un encore plus bas ; vous y allez. Certains, à ce petit jeu, descendent encore. Ils en arrivent à aimer le chien de la voisine, et l’os préféré du chien, et la fourmi sur l’os. Halte-là ! Ne condescendez plus, de grâce !

CONFIANCE.- Dangereux état dans lequel il arrive que l’on se trouve vis-à-vis d’une personne ou d’une chose. La confiance se caractérise par l’abandon momentané de toute agressivité, voire de l’instinct de conservation. Il n’est rien de plus terrible pour l’âme que la confiance trompée. C’est un coup de couteau en plein cœur. S’il existait un moyen scientifique de déceler les traces, chez un individu, de tous ses moments de confiance bafouée, on pourrait éviter bien des meurtres, des vengeances, des froideurs, des calculs sordides, des égoïsmes. Un moteur de voiture finit toujours par s’user et ne plus être fiable. L’homme est impermanent. Alors ! Chaque fois que vous vous apprêtez à faire confiance, révisez, inspectez l’objet ou l’être en qui vous placez votre confiance. Cela vous évitera bien des déconvenues, de ces déconvenues qui, à la longue, finissent par rendre durs comme de la pierre les cœurs les plus attendris. La maladie de la pierre au cœur est, de loin, la maladie la plus affreuse.

CONFIDENCE.- Erreur naïve ou calculée. Le calculateur tire déjà parti de vos confidences tandis que vous parlez. Le naïf prend pour argent comptant vos confidences calculées. Il est des calculateurs si sophistiqués qu’ils prennent pour de fausses confidences de bonnes grosses confidences bien naïves. La malignité qui se trompe fait regretter la naïveté. La naïveté authentique et miraculeusement triomphante donne des frissons dans le dos.

CONSCIENCE.- Miroir de l’âme. Il n’y a malheureusement pas d’adéquation entre l’âme et son miroir, en ce sens que certaines âmes grossières peuvent se mirer dans un miroir parfait, tandis que les âmes fines ne disposent souvent que d’un miroir dépoli, piqué, tacheté, biseauté, voire carrément déformant. Croit-on pour autant que presque tout le monde se trouve laid ? Non. Heureusement ! Une conscience aigüe est une arme redoutable qui, sans cesse, tue les occasions d’être heureux, une à une, impitoyablement. Faire appel à la conscience de quelqu’un, c’est, en dernier ressort, lui demander de s’auto-sanctionner, sans trop attendre de cette étrange demande.