PAIX.- État d’un individu, d’un pays, sur lequel nulle menace de guerre ne semble planer. La paix véritable disparaît dès que l’on s’avise de la conforter et donc de préparer la guerre. Entre l’ignorance absolue du danger de guerre et l’imminence de cette dernière s’étale une période de paix frelatée, dite de ni guère ni paix, ou de guerre froide ; cette paix dénuée de sérénité est encore un morceau de paradis au regard de la guerre.

PARADOXE.- Médicament propre à soulager la connaissance lorsqu’elle est embarrassée par un excès de vérités premières. Selon une idée reçue, le paradoxe serait le frère de l'anticonformisme. C'est une erreur car ce serait plutôt son ennemi mortel. L'homme à paradoxes se soumet généralement aux us et coutumes de sa société ; c'est aux idées reçues qu'il s'en prend, pas aux mœurs. L'anticonformiste notoire refusera de s'habiller comme ses concitoyens mais ne mettra jamais en question les idées courantes. Le paradoxe est indispensable à la marche du monde et le monde a failli périr chaque fois que l'on s'est efforcé de le supprimer.

PARLER.- La plupart du temps, ne rien dire ; pourtant, de toutes les manifestations humaines, le langage est la plus éloquente. Un simple mot prononcé en dit toujours plus long qu’un regard. Le débit, l’intonation, l’accompagnement du geste parlent d’eux-mêmes. Quand on parle, toujours, de quelque manière, on se met à table.

PARTI.- Machine de guerre nécessaire à la conquête du pouvoir démocratique. Savent-ils, ceux qui rêvent d’abolir les partis politiques, qu’ils supprimeraient du même coup la démocratie ? Prendre pour chef un sans parti ou le chef d’un parti unique, c’est choisir la dictature. La démocratie suppose l’existence d’au moins deux partis, la dictature n’éclot que par parmi les factions. Dans les deux cas, rarement l’intelligence est aux commandes. Quand l’intelligence montre le bout de son nez et affiche des velléités politiques – et c’est sans doute là que réside la principale différence entre démocratie et tyrannie – les démocrates s’abritent derrière la majorité tandis que les dictateurs tirent leur revolver.

PASSÉ.- Tranche de vécu en cours de sédimentation. La mémoire et l’imagination humaines permettent d’évoquer le passé quand il n’est pas complètement refroidi. L’homme sécrète du passé autour de lui et s’y enferme adroitement, tel un lépidoptère qui tisse son cocon. La mystérieuse insouciance du papillon est bien éphémère !

PASSION.- Obscurité au milieu de laquelle brille une lumière qui peut avoir n’importe quelle source, à l’exception de l’intelligence. C’est dire l’intérêt et en même temps la méfiance que nous devons incessamment nourrir à l’égard des passions. Il n’y en a point d’insignifiantes. Toutes ont l’étrange pouvoir de nous faire faire des bonds en avant ou de nous précipiter dans l’abîme. Il y a de ce point de vue un air de famille entre la passion et l’intuition. Comme l’intuition, la passion finit toujours par perdre celui qui s’y livre aveuglement.

PATIENCE.- Art de laisser s’écouler le temps et de lui faire confiance. La patience suppose l’optimisme et le sens des réalités. Le chasseur qui guette sa proie espère bien demeurer en vie jusqu’à ce que celle-ci parvienne au piège qu’il lui a tendu. Sa connaissance des ressorts de la vie ne lui laisse aucun doute sur l’efficacité de son piège. À défaut d’une exacte appréciation des forces en présence, la patience risque de ressembler à la passivité.

PATRON.- Possesseur d’esclaves.

PAUVRE.- Mot indéfinissable pour le riche. Comme le riche est toujours le pauvre d’un plus riche que lui, on peut aisément en déduire que la propension naturelle de l’homme à l’enrichissement interdit toute communicabilité dans la direction de l’appauvrissement. À l’extrême limite, les gens vraiment très riches, non seulement ne savent pas ce qu’est la pauvreté, mais, en outre, ne peuvent l’imaginer, Charles Péguy dixit. Et il avait raison ! Autant dire à un bon vivant de se pencher sur la mort.

PENSÉE.- Tranche de vie intérieure.

PERSONNALITÉ.- Regard particulier, original, posé sur le monde. La personnalité est affaire de perception et non d’émission. Une personnalité, c’est à coup sûr tout le contraire d’un fort en gueule.

PEUPLE.- Multitude d’individus n’ayant pour point commun que d’être considérés comme interchangeables par les mêmes élites, les mêmes administrations, les mêmes économistes, les mêmes militaires. Lorsqu’un peuple parvient à penser, il se rend compte, comme Descartes, qu’il existe et, donc, il se soulève. C’est ainsi que se renouvellent les élites, les administrations, les économistes et les militaires.

PHILOSOPHIE.- Acte de mettre au placard ses passions et sa culture et d’analyser objectivement l’infiniment futile et l’infiniment grandiloquent.

PLACIDITÉ.- Déformation professionnelle issue d’une pratique trop prolongée de la sagesse. L’ennui, c’est qu’elle se perpétue, même bien au-delà de la retraite, quand elle devrait s’estomper puisque l’on ne l’exerce plus.

POLITICIEN.- Quémandeur professionnel de pouvoirs gouvernementaux locaux, régionaux, nationaux et même internationaux. En dehors de sa recherche incessante de subsides pour alimenter ses campagnes électorales, la principale activité du politicien consiste à s’adresser au public, par médias interposés, pour lui raconter des mensonges et lui faire de vaines promesses. Les démocraties finissent toujours par regorger de politiciens ; il arrive souvent un moment où leur nombre devient supérieur à celui des simples citoyens électeurs ; les instances républicaines sont alors forcées de diminuer de plus en plus l’âge à partir duquel on est en droit de voter.

POLITIQUE.- Art de conquérir le pouvoir, de le conserver et d’en faire usage pour d’autres conquêtes. La conquête du pouvoir requiert l’aptitude à rassembler les hommes ; la conservation du pouvoir exige le dénigrement des rassemblements concurrents ; l’exercice du pouvoir suppose la capacité de voir au-delà de l’horizon. Rassembleur, machiavélique et visionnaire, tel doit être l’homme politique.

POLYGAMIE.- Simplification de la vie conjugale par banalisation.

POSSÉDER.- Recéler légalement.

PRÉCAIRE.- Dénué de divinité, naturel, normal, vexatoire, soumis, comme toute vie.

PRÉCHER.- Inciter à dresser des barricades, contre les pouvoirs établis ou contre les guérilleros, contre les autres ou contre soi-même, contre ceux qui croient en Dieu ou contre ceux qui s’en tamponnent, et, de toute manière, contre ceux qui, eux-mêmes, dressent des barricades.

PRÉDICTION.- Résolution d’un problème dont on ne possède pas toutes les données.

PRÉDILECTION.- Tropisme humain positif dû, rarement, au hasard ou, le plus souvent, à une éducation, qu’elle soit dirigée ou autodidacte.

PRIER.- S’adresser à l’inconnu en le suppliant de modifier le connu. Seuls les savants omniscients devraient être autorisés à prier, à défaut de mieux ; les autres devraient plutôt apprendre, encore et toujours.

PRIMAIRE.- Se dit d’un individu qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Comme, généralement, ces gens-là ont le nez long et mobile, ils voient finalement plus loin qu’on ne pense.

PROMESSE.- Créance légèrement inférieure à la moitié de la dette correspondante.

PROPAGANDE.- Mère fasciste de la publicité.

PROPRIÉTAIRE.- Voleur impuni et respecté par la loi et par tout un chacun, hormis, éventuellement, par son locataire. Dans ce dernier cas, il y a indéniablement déni de justice puisque le locataire est proprement complice, voire recéleur dans cette affaire de vol. N’est-il pas vrai que nemo auditur contra suam turpitudinem allegans ?

PROVERBE.- Loi dégagée par l’expérience populaire. Les meilleurs proverbes sont évidemment ceux issus des peuples expérimentés.

PSYCHIATRE.- Dégivreur patenté du frigidaire de l’âme où sont stockés des souvenirs givrés. Il est pourtant des âmes qu’il vaut mieux ne pas échauffer, sous peine de les voir se répandre comme des camemberts au soleil.

PUBLICITÉ.- Message émis par la vermine pour inciter la multitude à consommer plus que de raison. Les formes contemporaines de la publicité sont directement issues de la propagande nazie. Les peuples frustres excellent à réduire leur identité à celle d’un marché commercial. Pour vendre, mieux vaut abêtir. Le commerce n’étant pas le propre de l’homme, la publicité se charge de le soutenir. Que l’homme périsse, pourvu qu’il achète. Quand nous serons tous, sans exception, des commerçants paresseux et avides, que pourrons-nous bien vendre ?