SAGE.- Se dit d’un homme capable de gouverner ses passions, à l’exception de la sagesse ; car la sagesse est une passion, capable d’entraver tous les sentiments, toutes les inclinations. Le sage est de tout repos, tant qu’il reste au repos. Quand il intervient dans le gouvernement d’autrui, il fait penser à ces labyrinthes bourrés de sens interdits qui, à défaut de vous rendre fous, vous font perdre un temps précieux, le temps qui vous sépare de la mort, la sagesse suprême.

SAINT.- Accélérateur de société. Les progrès d’une société dépendent du nombre et de la qualité de ses saints et, naturellement, du nombre et de la qualité de ses gangsters qui sont autant de freins. Quand les gangsters s’immiscent jusque dans les allées du pouvoir et que les saints prêchent dans le désert, alors on assiste à une série de dérapages, voire de têtes à queue, la société quitte la piste et seul un miracle peut limiter les dégâts. Un miracle ou… un juge.

SAVOIR.- Commencement de l’immobilisme. Ceux qui ne tiennent pas en place ne savent pas grand-chose. Pierre qui roule n’amasse pas mousse, dit le savant proverbe. Tant pis pour ceux qui confondent le savoir avec la gesticulation ou la chorée !

SCANDALE.- Comportement outrepassant les ultimes frontières du cadre éthique d’un milieu social déterminé. Ceux par qui le scandale arrive sont un peu semblables aux pionniers qui entreprirent la conquête de l’ouest américain. Il ne peut y avoir élargissement de vue sociale sans scandale. On appelle proprement scandale ce qui déroge pour la première fois à la règle unanimement reçue. Les scandales à répétition font l’habitude des scandales. Peu à peu, les scandales perdent leur aspect scandaleux. Vous avez dit scandale ? Les règles les plus dévotes, les comportements les plus empreints de componction ont pour origine un bien gros et gras scandale.

SCÈNE.- Lieu public où l’on débat de tout et de rien, de la vie et de la mort, de l’amour et de la haine. Le phénomène contemporain de la médiatisation a fait du village le plus reculé de la planète une scène potentielle, où il suffit que le sang et les larmes coulent pour que s’allument les projecteurs, et de l’individu le plus humble de l’Amazonie ou de la Patagonie un artiste encore plus impudique que les meilleurs interprètes professionnels du petit et du grand écrans.

SCEPTICISME.- Renoncement à admettre la vérité, à en découvrir les lois ou, plus grave encore, à concevoir qu’elle existe seulement. Le scepticisme ne doit pas être confondu avec le pessimisme, pas plus que la crédulité ne doit être assimilée à l’optimisme. Le pessimiste connaît les lois du monde mais les juge mauvaises. Le sceptique va jusqu’à nier qu’il existe des lois et se méfie de celles que l’on a prétendument dégagées. S’il est faux de dire que tous les pessimistes sont ipso facto des sceptiques, il n’en demeure pas moins que les sceptiques ont du mal à paraître joyeux. Leur devise pourrait être : ne t’étonne de rien et doute de tout. Il y a dans le scepticisme un je ne sais quoi de neurasthénique qui est fort contagieux : si vous aimez l’ordre tout en étant rêveur, fuyez les sceptiques ; ils vous empêcheront de rêver et mettront la pagaille là où vous aurez, péniblement, fait le ménage.

SCHISME.- Rejet. Trop de schismes font une forêt vierge qui cache le ciel aux yeux des humbles prosélytes. Il faut être un sacré vieux crocodile pour s’y reconnaître dans certains partis religieux ou politiques.

SCIENCE.- Harmonie des connaissances dans un domaine particulier. Il est des sciences qui ne connaissent que très peu de lois mais qui s’aiment entre elles. Ce sont les sciences dites exactes. Les autres ne sont pas fausses mais présentent le fâcheux spectacle d’un amas de lois entassées les unes sur les autres où seuls des archivistes peuvent s’y retrouver. On touche là le véritable danger de l’outil informatique : les sciences prolifèrent comme autant de fichiers et plus personne ne tentera d’abolir le hasard.

SERF.- Ancien sujet de droit économique dont le lien de subordination était plus lâche que celui immobilisant l’esclave et un peu plus serré que celui qui relie le salarié actuel à son employeur. Encore quelques révoltes, quelques jacqueries, quelques mouvements de grève, et il n’y aura plus de lien du tout.

SERMENT.- Engagement solennel d’un ivrogne de ne plus boire une seule goutte d’alcool jusqu’à ce que les poules soient munies de dents. En général, les amoureux et les hommes politiques s’arrangent pour boire sans être vus.

SIESTE.- S’il est vrai que le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, on comprend qu’il ait échappé à ces pays latins qui, sitôt levés, ont coutume de se recoucher.