TABLEAU.- Représentation individuelle d’un morceau de réel ou d’imaginaire réalisée artisanalement, le plus souvent manuellement, en un seul exemplaire, en deux dimensions limitées par un cadre, accrochée à un mur, et devant laquelle passent et repassent des aveugles et des voyeurs. Un tableau est une fenêtre sur l’âme d’un individu.

TABOU.- Sujet de communication incommunicable parce que frappé d’autocensure en vertu d’un interdit unanimement reçu. Au fur et à mesure de son évolution, une société déplace ses tabous du religieux au métaphysique, puis au positiviste. Un tabou levé laisse une cicatrice dans la mémoire collective : on ne parlera jamais d’un sujet jadis interdit comme on en parlerait si ledit sujet n’avait jamais été interdit. Ne parviendra-t-on jamais à interdire d’interdire ?

TALENT.- Don de la nature poli par l’effort. Il y a des talents de créateur et des talents d’imitateur. Les seconds mettent en boîte les premiers, du moins ceux, parmi les premiers, qui, en fait, font partie des seconds car le talent de créateur est par essence inimitable.

TECHNIQUE.- Art des moyens. Le génie de l’essor de la technique c’est d’avoir utilisé la science, cet art de la fin, qui est la connaissance. La technique a à ce point parasité la science que, dans bien des domaines, seuls les spécialistes peuvent distinguer ce qui appartient à la science et ce qui ressort de la technique. Aujourd’hui, la connaissance a pris ce virus de la politique qui fait que, bien souvent, trop souvent, la fin justifie les moyens, surtout les moyens qui se réclament d’une fin. L’assassinat politique et la découverte de l’arme atomique sont devenus cousins et le savant risque fort, comme le politicien, de n’avoir pour politique que celle de ses moyens.

TECHNOCRATIE.- Gouvernement des ressources par des spécialistes de l’organisation. Quand les politiciens s’acoquinent avec les technocrates, ils trahissent le peuple qu’ils sont sensés représenter. Quand les technocrates s’emparent de la politique, on s’achemine vers le fascisme technologique. Imaginons des hommes qui auraient le cœur assez chaud pour respecter leur prochain comme eux-mêmes et qui auraient en même temps une tête assez froide pour réparer sans cesse les bêtises du commerce, de l’industrie, du profit, de l’injustice sociale. Seuls de tels hommes pourraient faire l’Europe, peut-être même malgré elle. En attendant cette magnifique construction, nos technocrates érigent des morceaux de mur un peu n’importe où tandis que nos politiciens dressent des plans qu’ils brûlent aussitôt. Les uns et les autres se voudraient pragmatiques, alors que les peuples, eux, de par leur expérience, savent fort bien qu’on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs et que, finalement, il leur appartiendra d’aller au charbon, de se battre et d’accoucher de cette unité européenne des hommes et de leurs ressources.

TENTATION.- Instinct de satisfaction difficilement surmontable sans l’aide de la raison, de la morale ou de la religion, ou, tout bonnement, de l’anorexie.

TENTER.- S’ôter tout regret de ne rien avoir ? Rien n’est moins sûr : a-t-on tenté au meilleur moment et dans de bonnes conditions ? Est-on allé jusqu’au bout dans sa tentative ? Et pourquoi ne pas avoir tenté une nouvelle fois ? L’échec ne saurait justifier l’échec. Heureux, peut-être, celui qui meurt sans avoir jamais rien tenté mais persuadé que, dans une autre vie, il pourra tout avoir, s’il le veut.

TERRITOIRE.- Espace dont les limites sont celles de la compromission et du pacifisme. Tout peuple, comme toute meute, doit assurer la pérennité de son territoire, s’il veut survivre libre. Tout homme, comme tout animal, doit préférer mourir plutôt que d’abandonner à autrui la jouissance de son jardin secret. Ceux, professionnels ou amateurs, qui tentent seulement de violer le territoire spirituel d’un individu méritent d’être anéantis par tout moyen approprié. Il ne saurait y avoir de pitié pour un envahisseur, fût-il sans feu.

TERROIR.- Humus berceau d’un individu. L’homme dépoté abandonne toujours, sans le savoir, quelques radicelles dans son terroir.

TÉTU.- Amoureux de la ligne droite obsédé par une même direction. Tous les chemins menant à Rome et la meilleure manière, selon Descartes, de sortir d’une forêt touffue étant de marcher droit devant soi, même si c’est dans la mauvaise direction, il est recommandé de cesser d’être un dilettante quand quelque chose vous tient à cœur.

TOUJOURS.- Un certain temps, jusqu’au bout d’une tranche de temps dont l’épaisseur varie en fonction de l’âge, du sexe, du caractère, de l’honnêteté, de la santé mentale de celui qui, en prononçant ce mot, étalonne la pérennité.

TOURISME.- Action de visiter un peuple dans sa cage naturelle, comme on visite un zoo ou un jardin botanique. Quand deux touristes se rencontrent, cela fait deux martiens sur la lune.

TOUS.- Quelques uns quand… il y en a plusieurs. À Marseille, la moitié d’un suffit.

TRADITION.- Procédure consacrée par l’usage et l’expérience et qui perdure tant que se maintiennent les mêmes conditions de température et de pression. Ce qui échappe à la tradition est scandaleux. Il y a des scandales gratuits et éphémères qui meurent bien avant leurs auteurs. Il y a aussi des scandales providentiels car ils sont à la base de nouvelles traditions rendues nécessaires par la modification de la température et de la pression. Avant jeter la pierre à celui qui dérange la tradition, prière de mesurer la vitesse du vent et l’épaisseur du brouillard. Sait-on jamais !