Amour du crépuscule

Il fera grand soleil au cœur du crépuscule.
N’aura raison la mort de l’amour de ma vie.
Dans mon crâne éphémère, modeste réticule,
J’aurai celé les jours qui bannirent l’ennui.
Pour ne point interrompre du rêve le bienfait
Sur la pointe des pieds j’aurai quitté la rive
D’où je vous contemplais, magnifique reflet
De cette beauté vive :
Il s’agit de votre âme,
Madame, que j’aime tant.

 

Les sourires de ma fille

Il est parfois des nuits où, par un privilège
Pour service rendu à la malignité,
Il est parfois des nuits où, par un sortilège
Issu d’une pensée, morceau d’éternité,
M’apparaissent en songe, parmi tout un collège
D’êtres désabusés, béant d’absurdité,
Coques vides oscillant comme des bateaux lèges,
Les sourires sereins, pleins de complicité,
Que m’adresse ma fille, qui font que je m’allège
De ma morosité, de mon austérité.
Dussé-je pour cela commettre un sacrilège,
J’aimerais de ces nuits dicter l’infinité.

 

Les veuves

Elles ne sont pas folles. Elles ne sont pas là,
C’est tout.
Elles moulent du noir, du noir couleur trépas,
Partout.
Et quand vient le désir, quand il faut en découdre,
Elles serrent leur cœur pour l’empêcher de sourdre,
Les veuves.
Les morts leur ont de ces largesses
Qu’elles comprennent mal car elles sont otages.
Ils leurs parlent d’amour, de paix et de sagesse,
Quand elles pensent à eux en termes d’héritage,
Les veuves.

 

Marivé

Quand la mer rougissante embrasse le Soleil
Et de son manteau noir issu des profondeurs
Se drape l’Océan
Il m’est une lumière
Qui éclaire mes nuits.
Quand le Ciel obscurci verse son désespoir
Régénérant ainsi de ses larmes la Terre
Il m’est un territoire
A l’abri de la pluie.
Quand souffle le vent mauvais de la colère des hommes
Répercutant l’écho d’une guerre lointaine
Il m’est une petite île
Où m’accueille une femme prêtresse d’un Eden
Qui se nomme Marivé.

 

Mer

Parfois, dans mon atlas,
Là où le Pacifique fait une tache bleue
Sur le papier graisseux
À force de servir de témoin silencieux
À des repas furtifs,
Là donc, dans mon atlas,
Prodige des prodiges,
Je vois un petit homme, dans une barque immense,
Allant d’île en île,
Fouillant les mers du sud,
Cherchant je ne sais quoi qui doit être infini
Tant est grave sa quête du rivage lointain.
Alors, tel un géant se voulant secourable
Écrasant de ses pas ceux qu’il voulait sauver,
Mon doigt lourd et grossier
Laboure l’océan,
Effaçant de la carte ces îles paradisiaques
Où la barque du temps désirait aborder.

 

Nocturne

Il la prit dans ses bras
E, dans ce mouvement à la fois rond et dur
Que l’on nomme tendresse,
Il y avait en plus ce que ne sauraient dire
Ni la passion aveugle, ni le profond désir,
Ni l’indigent calcul des sexes qui s’approchent.
En s’agrippant, leurs mains hurlaient leur existence.
Leurs seins se contenaient là où battaient leurs cœurs.
Il y avait en plus ce que ne sauraient voir
Ceux qui n’ont point aimé autrement que leur ombre,
Fantôme évanescent en quête d’un amour
Renaissant chaque jour
À l’ombre
D’un baiser.

 

Rembrunir

Il m’a dit : « Prends ton temps pour mourir. »
J’ai vécu.
Mal.
Mais j’ai vécu.
Il m’a dit : « Amuse-toi sans réfléchir. »
J’ai joui.
Mal.
Mais j’ai joui.
Il m’a dit : « Pleure un peu. Pour voir. »
Je me suis rembruni.
Au soir.
Rien n’y a fait :
Je me suis embêté, je suis mort et je n’ai rien vu.

 

Trésor

Parfum, quand tu caresseras le lobe de son oreille,
Tout près, dans le creux, dis-lui bien que je l’aime,
Qu’elle est tout mon trésor, que je veux la garder.
N’oublie pas, parfum, éphémère messager
D’un amour immortel !

 

Vieux marin

Le vieux marin disait qu’il n’est pas de ressac
Mille millions de sabords !
Qui ne ramène un jour l’essence du remords.
Le vieux marin savait qu’il n’est pas de fantôme
Mille millions de balles perdues !
Qui ne soit rebuté par les toiles écrues.
Le vieux marin pensait qu’il sera toujours temps
Mille millions d’obus ratés !
De pendre à une vergue ceux qui n’ont point aimé.