On a volé un pain, Place de la Bastille.
Une grande rumeur a empli le quartier.
À la Boulangerie du blé de la Castille,
On crie sus au voleur et on prie sans pitié.
Elle est pourtant bien grasse la laide boulangère,
Et son ventre bien rond rit de la pauvreté ;
Mais un pain est un pain pourvu qu’on le digère,
Et passons la monnaie, tant pis pour la bonté.
Ton bâtard est mauvais, Madame Financière,
Une miche de vent, c’est un succédané ;
Et je préfèrerais manger de la poussière,
Plutôt que d’y goûter, quand il serait donné.

On a volé un pain, Place de la Bastille.
Le maudit chenapan est entré en prison.
À la Boulangerie du blé de la Castille,
On demande l’appoint, on garde sa raison.
Son estomac tremblait à ce pauvre rapin.
Il avait déposé, là-haut, sur l’étagère,
Dix vers de sa façon, et avait pris un pain.
Mais un pain est un pain, vive la boulangère !
Ton bâtard est mauvais, Madame Financière,
Une miche de vent, c’est un succédané ;
Et je préfèrerais loger en pissotière,
Plutôt que d’y goûter, que l’argent soit damné.

On a volé dix vers à un pauvre rapin.
Dix vers du meilleur bronze n’ont pas été payés.
Mais c’était un poète, c’était un galopin ;
Passez votre chemin, pourquoi nous ennuyer ?
C’est elle la voleuse, la laide boulangère,
Et dans son tiroir-caisse git la méchanceté.
Dix vers ne valent rien dans la boue financière,
Pourquoi vivre en ce monde où règne l’âpreté ?
J’irai voler un pain, Place de la Bastille.
Une grande rumeur remplira le quartier.
Mais la Boulangerie du blé de la Castille
N’aura pas en échange les vers de ma pitié.