Dans mes vallons perdus, loin des chaudes batailles,
J’ai enfoui mon corps au tombeau de la vie.
J’ai dédaigné l’enclos où les moines austères
S’imaginent prier pour le repos des âmes.
J’ai lacéré ma langue et creusé une entaille
Aux cinq doigts de la main que l’esprit m’a ravie.
J’ai fait de mes oreilles les murs d’un monastère
Que nul ne peut ouvrir, nul hasard, nul sésame.
Je ne veux plus errer dans les rues des cités
Où le fracas des hommes a un son d’agonie.
Je ne veux plus sentir l’encens des temples morts
Ni boire à la fontaine d’un éternel ennui.
Dans le silence noir, noir de ma cécité,
Je n’écouterai plus les bruits de vilenie,
De haine et de colère. Les Sodome, les Gomorrhe
Pourront bien se dorer et devenir la nuit.
Je serai insensible aux cris, aux larmes, au sang,
Au malheur des humains, à l’inhumaine joie.
Loin des chaudes batailles, dans mes vallons perdus,
Je fuirai les clameurs, les coups, les jeux cruels.
J’ai assourdi le bruit des sons assourdissants,
J’ai écrasé mon feu de peur qu’il ne rougeoie,
Éparpillé le verbe de mes doigts détendus,
Inertes, froids et crissants, muets et rituels.
Mais mon esprit veillait sous les sens massacrés ;
Je n’ai pu l’empêcher de tout imaginer ;
Les clameurs des cités, je les avais ancrées,
Pour toujours, en pensée. La raison me tenait.
Dans mes vallons perdus,
Dans le tombeau de ma vie,
Malgré ma solitude,
Ma langue lacérée et mes doigts mutilés,
Malgré les murs épais de mes oreilles brisées,
J’erre en pensée dans les rues des cités.
Dans le silence noir de ma cécité,
J’entends l’agonie des hommes qui se fracassent
Au milieu des temples morts
D’ou surgit la fontaine de l’éternel ennui.
Les bruits de vilenie,
De haine et de colère,
Les Sodome, les Gomorrhe
Ont traversé ma nuit.
Les cris,
Les larmes et le sang des humains,
Leurs clameurs, leurs coups, leurs jeux cruels
Continuent de nourrir en moi le feu
Qui ne s’est pas éteint.
Et malgré mes doigts détendus,
Inertes, froids et crissants,
Muets et rituels,
Le verbe en mon esprit est demeuré vivant.
Car j’avais oublié d’écraser mon cerveau
Et d’en expulser,
À tout jamais,
Mon imagination.