MOI
Je voudrais bien écrire, aujourd’hui,
Mais je cherche depuis une heure
Et décidément je ne sais pas quoi dire.
L’AUTRE
Le Monde est infini.
N’en sais-tu pas chanter quelque partie ?
MOI
Quoi ! par exemple ?
L’AUTRE
Les oiseaux dans le ciel !
MOI
Les oiseaux dans le ciel !
Mais c’est du déjà vu !
Qui n’a pas chanté,
Au moins une fois dans sa vie,
Les oiseaux dans le ciel ?
L’AUTRE
Chante alors les poissons dans l’eau ;
Ou, si tu te sens plus fort,
Les hommes sur la terre…
MOI
Tu me donnes là des sujets
Cent fois dits et redits.
Tout cela m’ennuie :
Les hommes sur la terre,
Et la terre dans le Cosmos,
Et le Cosmos est Dieu,
Et Dieu est le Cosmos…
Tu m’énerves à la fin,
Avec tes lieux communs !
L’AUTRE
Les hommes sur la terre
Ne seront jamais assez chantés :
Car la terre ne change pas, certes,
Mais les hommes, eux, se transforment sans cesse,
Et avec eux leur prise de conscience de la terre.
Les hommes d’aujourd’hui, ainsi,
Attendent avec impatience que tu leur dises
Ce qu’est la terre, et pourquoi ils y sont…
Bon ! Je vois que Monsieur ne veut pas
Écrire comme tout le monde.
Alors ! Puisqu’il trouve le Monde
Bien petit et bien indigne
D’être de nouveau raconté,
Pourquoi ne le met-il pas à l’envers ?
MOI
À l’envers ? Que veux-tu dire ?
L’AUTRE
Chante donc les oiseaux dans la mer
Et les poissons dans l’air !
Chante la terre des hommes
Et les hommes sans terre ;
Raconte tout à l’envers…
MOI
C’est le surréalisme
Que tu me proposes là !
L’AUTRE
Appelle ça comme tu voudras,
Mais ce n’est guère joli.
MOI
Qu’importe si cela n’a guère été dit !
L’AUTRE
Et ce ne le sera pas !
Si tu n’as rien à dire aujourd’hui,
Eh bien ! Tais-toi !
Et laisse le lecteur en paix !
Il en a bien besoin, d’ailleurs,
Avec toutes ces fadaises qui se piquent de sel
Qu’on lui propose en ce moment ;
Et cela parce que les écrivains
Sont comme toi : ils veulent à tout prix
Parler quand ils n’ont rien à dire ;
Et ils n’ont rien à dire
Parce qu’ils ne savent pas regarder.
Les oiseaux dans le ciel, aujourd’hui,
Ne sont pas ceux d’hier,
Ni les poissons dans l’eau,
Ni les hommes sur la terre.
Chante-les donc,
Car ils sont tes oiseaux,
Tes poissons et tes hommes ;
Ceux que tu as vus
De tes propres yeux vus.
Chante-les donc,
Avant qu’on ne les tue !