Sur cette plage algérienne au sable si fin, si chaud, Jacqueline, allongée à l’ombre de son parasol, regardait, avec attendrissement, sa fille Michèle dont les parfaits mouvements de crawl se jouaient facilement des vagues.

Toute sa capacité d’aimer était concentrée sur cet enfant de huit ans dont les ébats contrastaient avec un état d’âme qu’elle pressentait tourmenté. Le matin même, Michèle n’avait-elle pas rappelé à sa mère les plaisirs de la natation qu’elle partageait autrefois avec un père qu’elle adorait ? Et, depuis un an, l’éloignement de ce dernier, coupable d’adultère, demeurait un drame inextricable pour son jeune entendement.

De cette situation équivoque Jacqueline souffrait non seulement dans sa chair – une femme de trente ans, belle et saine, ne peut se passer de la virilité d’un mari qu’elle aime – mais, surtout, dans sa fierté d’épouse. Elle, qui était imbue de tant de pudeur qu’elle n’aurait eu garde d’éveiller, même involontairement, un désir illégitime, se révoltait contre cette rivale, amie d’enfance qui s’était révélée soudainement si perverse.

Les yeux étrangement fixés sur l’horizon, elle revivait, en cet après-midi d’août, cette scène cruelle où, rentrant inopinément d’un court séjour chez ses parents, elle avait surpris, sous son propre toit, son amie de toujours dans les bras de son mari. Elle n’avait pu se soustraire à l’inévitable. Ses yeux étaient allés de l’un à l’autre. Dans une attitude ridicule, Pierre lui avait fait pitié. Elle avait eu un rire nerveux, méprisant, suivi d’un vif sentiment de douleur ; puis, sans prononcer un mot, elle leur avait montré la porte. Ils s’étaient enfuis, pressés de remords.

Cette brusque séparation lui avait bien apporté un certain apaisement ; cependant, plus d’une fois, quand elle revoyait leur étreinte, elle aurait été tentée de les tuer. Mais l’épouse et mère n’était-elle pas sacrée ? Et aucune image ou idée trouble ne devait s’attacher à son nom.

Dans son émotion inquiète, elle ne s’était pas aperçue que la nuit était près de tomber. Le soleil, avant de glisser derrière un massif environnant, faisait encore jaillir la lumière de toutes parts : de l’eau, du rocher, de l’air. La plage venait d’être ratissée de tout ce qu’elle étalait de maillots bariolés, de tentes et de parasols. Au large, une ou deux embarcations légères se balançaient doucement. Jacqueline chassa brusquement son obsession. Elle respira très fort pour sentir le goût de sel, puis chercha des yeux son enfant.

Elle eut beau scruter le plan d’eau alentour, aucune présence ne devait la rassurer. Prise d’angoisse, elle se leva d’un bond et, s’avançant en titubant au travers des vagues, appela à l’aide de toute la force dont elle était capable. Hélas ! Rien ne lui répondait que le bruit sourd de la mer. Alors, dans une sorte de demi-conscience, elle nagea, elle nagea jusqu’à épuisement vers un point où il lui avait semblé entendre une voix s’élever, plaintive, douloureuse.

Le choc avait été brutal. Avant de sombrer tout à fait dans le néant, elle avait eu la sensation de deux bras vigoureux sous ses aisselles en même temps qu’un joyeux cri d’enfant. À l’arrière d’un canot à moteur, Jacqueline, à demi-étendue, venait d’ouvrir les yeux. Un homme encore ruisselant se pencha pour l’embrasser. Il ne voyait pas la couleur revenir à ses joues. Michèle s’était blottie contre sa mère. Pierre était là anxieux. Jacqueline refusait de le regarder, mais ses jolis bras lui prirent le cou et elle l’attira vers elle.

La nuit était descendue. Le zénith piqué d’étoiles reflétait une vaste sérénité autour de cette embarcation qui les ramenait vers un rivage de paix, de bonheur retrouvé après le danger et que rien ne viendrait plus corrompre.