Baudelaire, poète de la volupté, allume le désir dans chacun de ses poèmes. Il excelle à nous faire imaginer un monde sublime à côté duquel celui qui est malheureusement le nôtre n’est qu’une vase grise et gluante. Le sang, les soleils rouges ou blancs, les étoffes précieuses, les parfums orientaux, les coussins moelleux, les formes féminines… sont autant de notes avec lesquelles il sait composer une musique céleste, bien qu’érotique, une musique qui réconcilie à merveille ce qui n’aurait jamais dû être séparé : le cosmos et la volupté, la grandeur et la délicatesse, l’immensité et l’intimité. S’il a chanté les mystères de l’alcôve, les pourritures et les atrocités, c’est Dieu qu’il a chanté ; et tant pis pour les bigots de toutes les religions qui fermeraient pieusement les yeux. D’ailleurs, en les gardant ouverts, ils ne voient pas davantage leur dieu poussif et trop humain. Ils ne voient pas plus loin que le bout de leur sexe. Baudelaire, lui, voyait ; malgré la fange et les putains ; mais il n’a jamais été, comme nos bigots, un voyeur. Il a été un visionnaire, ce qui n’est certes pas donné à tout le monde puisque ça ne l’est même pas à tous les poètes. Il n’a jamais classé et compartimenté. Il en aurait été incapable : son regard embrassait trop d’espace. Il n’est jamais descendu. Toute son œuvre n’est qu’ascension, extrapolation : une cuisse de jolie femme devient un morceau de lune, une chevelure une forêt ou un océan, un plaisir érotique le baiser de l’univers ; et c’est pourtant lui qui s’accusait d’hypocrisie. Il a même condescendu – une fois n’est pas coutume bien que ce fut sans doute une fois de trop – à se proclamer le frère de tous ces êtres secrètement tarés dans leur corset de fer et de tous ces êtres impudemment fangeux par paresse et perversité. Il a su goûter aux paradis artificiels sans être des premiers et il a su s’en détacher pour ne pas être des seconds. Il s’est d’ailleurs bien vite rendu compte que rien ne valait son imagination, sa capacité de vision. À quoi bon le houka, le haschisch et l’opium, puisqu’il n’avait qu’à lever les bras vers le ciel pour toucher des doigts les rayons invisibles à l’œil commun, ces baguettes cosmiques qu’il pouvait, lui, faire résonner sur la peau tendue du néant. Il n’avait qu’à lever les bras, car il fut grand.