Une de ses illustrations quotidiennes se situe sur les trottoirs de la plupart de nos cités : le pauvre piéton doit éviter les crottes de chien et les tessons de bouteille, laisser passer les patinettes et les vélos ; il est parfois tenu de quitter son trottoir car un camion de livraison ou une voiture outrageusement garée lui barre son passage ; il est alors copieusement klaxonné par des automobilistes qui se moquent bien du code de la route. Quand il parvient à retrouver son véhicule, il klaxonne à son tour à tout-va, histoire de se venger quelque peu.
La tyrannie du désordre ne s’exerce malheureusement pas uniquement sur nos trottoirs. Elle se manifeste sans cesse un peu partout. Elle s’insinue dans notre vie de tous les jours. Elle a envahi nos mœurs. Elle détermine les pensées de nos politiciens et de nos exarques, les rêves de nos artistes. Elle dirige les réactions de tous ceux qui, à quelque titre que ce soit, se chargent de concevoir et de faire appliquer les principes de notre vie sociale.
Vouloir mettre un peu d’ordre, ou même seulement estimer qu’il faille mettre un peu d’ordre, est devenu synonyme de sclérose, de fascisme, d’assassinat de la liberté. On n’arrête pas le progrès. Hélas ! Celui-ci roule dans tous les sens, histoire de rassembler le maximum de voix quand il y a lieu de voter.
L’histoire est un éternel recommencement : à force d’encenser le désordre, on finira bien par engendrer un jour la nécessité impérieuse de faire du ménage. La mère la plus prolifique des tyrannies a toujours été la tyrannie du désordre.