Le Droit est la négation de la société primitive, corps homogène et spécifique. C’est la raison pour laquelle Karl Marx a éliminé le Droit de la société communiste achevée où l’homme n’existe plus et où seule la collectivité est une réalité. Celle-ci étant universelle, même le Droit international n’est plus nécessaire. Il n’y a plus de Droit car il n’y a plus de compromis à aménager entre des intérêts multiples et opposés. Il ne subsiste qu’un seul intérêt, celui de la collectivité humaine. L’humanité retourne à l’âge tribal où là non plus le Droit n’existait pas. Lorsque certains juristes affirment « Là où existe une société existe un Droit », ils oublient de préciser qu’ils veulent entendre par société un ensemble humain où déjà la conscience collective s’est émoussée et a laissé naître des consciences individuelles génératrices de troubles sociaux, troubles qu’il faut conjurer par un ensemble de règles assorties de sanctions qu’on appelle le Droit. À partir du moment où sont élaborées les premières règles juridiques nécessitées par les troubles dus à la désintégration de la société, le développement des consciences individuelles semble bénéficier et se nourrir de ces règles mêmes : quand un droit est consacré, ses titulaires s’attachent à l’affermir d’abord, à l’élargir de plus en plus ensuite, enfin à obtenir un nouveau droit dans un domaine voisin… et ainsi de suite. On peut donc dire, en un certain sens, que le Droit crée le Droit ; mais celui-ci n’est qu’une série de bornes posées pour limiter les consciences individuelles (ou plutôt leurs manifestations) et tout développement du Droit n’est que la traduction d’un développement des consciences individuelles : celui-ci précède et conditionne celui-là. Quand les poseurs de bornes sont en retard, quand les juristes ne font pas, ou ne font que trop lentement, ou font mal leur métier, il y a des débordements, il y a des révolutions.
Il y a eu notamment la révolution socialiste. Karl Marx, le conservateur par excellence, le défenseur par excellence de la société, l’anti-progressiste né, le réactionnaire, dit aux hommes : « Assez de libertés, assez de déchirements nuisibles, assez de démembrements, assez de décompositions, retournons à la tribu mère de l’Humanité, retournons aux sources de l’Homme. »
L’Homme n’aura ainsi été qu’un fait historique de la matière humaine : né d’une désagrégation de l’Humanité, il redevient Humanité par un mouvement inverse de fusion ; exactement le sort de l’uranium, né du plomb et appelé à n’être plus, de nouveau, que du plomb.