Tout a été dit sur l’homme, certainement ; mais cela par petits morceaux particulièrement mis en lumière et ainsi déformés, caricaturés ; et ceux qui ont étudié chacune de ces facettes humaines ont toujours eu tendance à en faire l’explication unique, principale, essentielle de l’homme. On a commencé tout d’abord, en une première analyse, c’est-à-dire en une première dissection arbitraire et stupide, à partager le fait humain en phénomènes physiques, d’une part, spirituels (ou psychiques), de l’autre ; et dans chacune de ces deux branches, de cette « summa divisio », le scalpel du physiologiste et celui du psychologue ont taillé, séparé, divisé, avec fièvre et orgueil. On en est vite arrivé, à ce train-là, à expliquer le roi des terriens par une glande, un sexe, ou un complexe quelconque. On a démonté l’homme pièce par pièce, comme un moteur ; et, à chaque pièce nouvellement mise à jour, on s’est écrié, invariablement : voilà le moteur, le seul, le vrai ! Mais nous n’en savons pas davantage et nous n’en saurons probablement jamais : une pierre peut bien être pour moi objet de science, mais, pour une autre pierre, ou pour elle-même, elle fait partie de la métaphysique. Elle pourra peut-être avoir une conscience plus ou moins nette de ses diverses « situations », mais elle ne pourra jamais accéder à la connaissance de son « essence » de pierre.
Il est déjà difficile d’étudier sérieusement les comportements humains. Il est encore moins aisé de connaître le pourquoi de ces comportements, c’est-à-dire leur mobile, car les déterminations humaines dépendent non seulement de tendances, d’instincts semblables à ceux des autres animaux, mais aussi et parfois surtout d’une pensée ; or, il est toujours impossible de connaître exactement le pourquoi de la pensée humaine. Étudier pour cela les comportements, et y voir l’explication de la pensée en tant que réaction à ces comportements, ce n’est pas donner la solution au problème, c’est simplement constater l’impossibilité de toute solution en construisant un cercle vicieux : les comportements sont analysables, ils dépendent de la pensée (au moins en partie), laquelle dépend d’eux, et ainsi de suite. Dans ce cercle vicieux, dans ce cycle éternel comportement-pensée, il est au départ erroné d’étudier les comportements à partir de la pensée, comme l’ont fait les psychologues classiques, partisans de l’introspection, et il est également ridicule d’étudier la pensée à partir des comportements, comme le font les psychologues modernes, partisans du « behaviourisme ». La seule étude vraie, c’est celle du cycle entier dans sa synthèse ; mais l’homme ne pourra jamais l’entreprendre car il lui faudrait pour cela ne pas être homme, mais Dieu.