L’orgueil est le refus de l’adaptation. Il a souvent défait des empires et n’en a jamais construits. L’ambition est le contraire de l’orgueil : c’est elle qui construit les empires. Lorsqu’elle rencontre ses limites infranchissables, elle devient orgueil et ne tarde pas à détruire ce qu’elle a patiemment érigé. Dans ses comportements, l’homme semble être ambitieux quand il prend conscience de la qualité et de la puissance de ses moyens par rapport au but à atteindre. Quand, au contraire, il trouve ses moyens bien trop faibles et ses chances de succès illusoires, alors il se retranche sur ses positions acquises et ce retranchement est une attitude d’orgueil. L’orgueil apparaît alors comme un fort d’où l’on prétend dominer et arrêter tout ce qui tend à nous dépasser. Bientôt, le fort ne tarde pas à céder ; alors, ou bien on devient très humble, en attendant une nouvelle position de force, ou bien, par le moteur de l’ambition, on construit un nouveau fort au-delà du premier. Dans le fond, l’orgueil c’est l’ambition au repos, au chômage. C’est le soldat dans la caserne.

Le mépris n’est pas de l’orgueil : l’orgueil est bête et primaire ; le mépris est plus élaboré car il a finalement un certain caractère altruiste (c’est d’ailleurs pour cela qu’il est quelquefois difficile de le distinguer de la pitié). Le mépris, c’est l’orgueil conscient de l’existence des autres pas assez ambitieux et pas assez orgueilleux : quand le fort que l’on s’est construit apparaît inexpugnable, car les assiégeants sont ridiculement faibles, alors on ne se contente plus d’être orgueilleux, on devient méprisant. On a l’impression que ce n’est plus le jeu, que les cartes sont faussées, qu’on sera toujours vainqueur et que c’est de plus en plus monotone ; alors, on se penche sur les adversaires, on essaie de les secouer, on se soucie de leur santé morale, on tâche de les revigorer… en les vexant.

Le mépris est dangereux : souvent l’assaillant, piqué au vif, trouve en lui les ressources nécessaires pour raser votre fort ; et il ne fait alors aucun quartier. Les gens les plus méprisants, dans ce cas, sont ceux qui deviennent les plus humbles après la défaite.