Parler, ce n’est rien. Inventer un langage, c’est tout. Les plus grandes découvertes faites depuis le XIXème siècle sont bien pâles à côté de la lente élaboration du langage et de l’écriture. Ils seraient bien ridicules les écrivains, s’il n’y avait pas de grammairiens, et les physiciens, s’il n’y avait pas de mathématiciens. Point de langage, point de conversation, et la porte serait close ; la porte de la ménagerie.
Tu parles, mon enfant, tu te saoules de paroles. Remercie avec ferveur ceux, anonymes, qui t’ont permis de ne pas grogner, comme l’ours.
Trouver un mot nouveau, cela suffit dans une vie pour faire un homme. Apprendre un mot nouveau, cela suffit dans une journée pour se mettre à l’abri de la bête. Le nouveau-né ne devient un être humain que lorsqu’il prononce son premier mot. Avant, il n’était qu’un petit animal, mignon comme un petit chat. Il parle, et c’est le petit d’un homme. Ce qui se passe chez l’enfant entre sa naissance et le jour où il tient sa première conversation, c’est l’épopée, en raccourci, des hordes sauvages aux cris de cœlacanthes en quête d’un langage, en quête d’une autre vie. Ce qui a toujours distingué l’homme sans feu ni loi de la bête aux abois, c’est la nuance dans le grognement.
Ce n’est pas par hasard que les peuples primitifs punissent leurs plus grands criminels en leur coupant la langue ; et comment mieux caractériser un homme méchant qu’en disant de lui que c’est une mauvaise langue ? La langue : la tripe de choix, la tripe supérieure.