Il y avait un jour un roi qui vivait fort paisiblement parmi sa Cour et ses sujets lorsqu’un sage et prophète, qui descendait tout droit du ventre du Destin, vint à passer. Le roi voulut savoir ses lendemains et ceux de son royaume et pria le philosophe errant de lui prédire l’avenir. Il dut insister beaucoup, et même ordonner impérativement, pour être satisfait. Dès lors, toute la Cour de s’assembler, les reliefs du festin de disparaître et les trompettes de sonner. Le sage parla ainsi : « Je vois du sang, ô roi ! Je vois du sang couler. Ce sang rejaillira sur un de tes pairs, ô roi ! Sur un de tes pairs ce sang rejaillira. Ton peuple en prendra grande colère, laquelle ton trône fera trembler. Alors, ô roi ! Tu commettras l’irréparable et la colère du peuple deviendra haine, laquelle fera ton trône s’écrouler. » Ainsi parla le sage en sa prophétie. Le roi, ivre de rage et ceinturé de peur, ordonna sur le champ de mettre à mort cet oiseau de malheur. Aussitôt, et sur place, celui-ci fut décapité. Un flot de sang s’épancha du corps étêté et éclaboussa les dalles du palais. La première prophétie était réalisée. Un des nobles de l’assistance ne manqua pas de le signaler. La remarque glaça la Cour et acheva de faire perdre ses esprits au chef suprême du royaume. Pour punir cette insolence macabre, il ordonna de faire emprisonner le noble qui venait de parler. Or, cet homme était fort aimé du menu peuple pour l’avoir défendu lors d’injustes procès. Le peuple se souleva en masse et vint menacer les grilles du palais. La deuxième et la troisième prophétie étaient réalisées. À ce stade de ses malheurs, le roi tenta de se ressaisir : il fit des efforts louables pour apaiser sa colère et sa peur. Il déclara à ses ministres qu’il était maintenant convaincu de la justesse de la prophétie, qu’il n’oserait plus la braver, qu’il faisait amende honorable en reconnaissant la sagesse du sage annonciateur. Les ministres ne furent pas de son avis : ils voulaient faire tirer sur le peuple sans tarder. Le roi resta inébranlable. « Voudriez-vous, Messieurs, leur dit-il, que je commisse l’irréparable et que je donnasse ainsi à la sorcellerie du Destin le prétexte de m’achever ? » Le peuple, étonné de ne pas être mitraillé par les fantassins et chargé par la cavalerie, renversa les grilles du palais et se mit fièrement en marche. En un instant, des siècles d’ordre et de paix furent ravagés. Le roi fut saisi, emprisonné, guillotiné. La dernière prophétie s’était réalisée.
Il ne faut jamais forcer le Destin à se manifester, car, après, on ne peut plus l’arrêter.