« On ne prend plus le pouvoir pour le pouvoir, mais pour gagner de l’argent. » (Claude Silberzahn, ex-patron de la DGSE, cité par Le Monde du 9 juin 1993). « Les champs économique, politique et culturel ne coïncident plus avec le cadre national. » (Ibid.).
Si, à bord d’un étrange hélicoptère, il nous était possible de survoler notre époque et d’en voir nettement le dessin que forment ses principales lignes de force, son réseau de canaux où se meut l’énergie, l’irrigation de ses composantes essentielles, les chemins et leurs ramifications par où passent les ordres et les incitations, sans doute serions-nous étonnés de ne pas reconnaître le paysage tel qu’on nous l’avait promis dans les livres d’histoire, d’instruction civique et de géopolitique.
Pour la plupart d’entre nous, le monde – c’est-à-dire la partie occidentale du monde – se caractérise toujours, dans sa structure évolutive, par le combat incessant de deux forces contraires, l’une tendant à l’émiettement du pouvoir politique en faveur de collectivités de plus en plus ténues, allant jusqu’à la réduction suprême à l’individu, l’autre ayant au contraire pour effet de rapprocher les États, de les confédérer, de les fondre en unités de plus en plus puissantes. Ainsi, les « quarante rois qui, en mille ans, firent la France », selon la fameuse expression de Charles Maurras, illustrent bien cette force centripète attirant autour du noyau Île-de-France ces électrons ayant pour noms Champagne, Bretagne, Bourgogne… À l’inverse, quand les communards de 1870 rêvaient d’une France composée d’une multitude de communes souveraines, ils ne faisaient que tenter d’actionner la force centrifuge de l’histoire de France.
Aujourd’hui, où l’on s’entête à ne considérer l’évolution de la société française qu’en fonction de cette double force, on se plaît à décrire le combat titanesque que sont censées se livrer la décentralisation, au bénéfice des régions, et la constitution de l’Europe unie. C’est faire peu de cas de ce phénomène patent de l’économie contemporaine que constitue l’interdépendance des activités et des décisions de toute la planète. Nos agriculteurs le savent bien, eux qui sont tributaires de ce que décide Washington à leur sujet, malgré la parodie de résistance que tente d’opposer Paris.
En fait, l’interdépendance a été sécrétée par l’omnipotence des gigantesques sociétés multinationales et ce n’est pas un hasard si l’art et le commerce possèdent des liens si privilégiés puisque ce sont les deux seules activités humaines qui nient l’existence des frontières.