La morale de l’âge interstellaire n’est pas encore née et les peuples les plus avancés en civilisation en souffrent cruellement. Le dépassement de la terre, considérée jusqu’alors comme seul cadre de notre existence, doit s’accompagner d’une révolution dans la vie des hommes comparable à celle qui présida à la découverte de l’Amérique. Il faut s’attendre à un bouleversement complet des structures économiques, politiques, artistiques, sociales, etc. De nouvelles conceptions verront le jour et nous aurons vraisemblablement des notions neuves sur certaines constantes comme la guerre et la paix, le chômage et le plein emploi, le travail et le loisir…
Les morales sont les cadres des activités et des pensées humaines. À un bouleversement général de ces activités et de ces pensées doit correspondre un renouvellement des morales ambiantes ; or, les morales terrestres qui continuent d’avoir cours sont déjà périmées. Le christianisme est périmé : il enseigne aux hommes la vénération de Dieu, c’est-à-dire qu’il enseigne à la terre la vénération du cosmos ; or, on ne vénère plus ce que l’on a violé : on s’y attache davantage ou l’on s’en dégoûte, mais on ne le vénère plus. Le marxisme est périmé : l’espace ne peut pas s’approprier car il est incommensurable et l’on ne divise pas l’infini.
Pourtant, on continue à enseigner que Dieu fit la terre et les hommes sur terre. Aujourd’hui l’homme parcourt la lune ? Eh bien ! Tant mieux ! Il pourra ainsi mieux contempler l’œuvre de Dieu. Oui… Mais Dieu a reculé. On continue à enseigner les vertus du bien commun, bien que les puissances les plus avancées dans le nouvel âge parlent de se partager les espaces. Cela fait sourire et suscite à l’esprit l’image de deux petits Lusitaniens qui auraient longuement disputé sur le meilleur mode d’attribution des immensités inconnues du continent américain.
Si une nouvelle morale est donc nécessaire, un vieux problème n’a toujours pas été résolu : les morales et les moralistes sont-ils autonomes ou procèdent-ils de la matière qu’ils ont pour tâche de régir ? Jésus Christ a-t-il créé le christianisme pour le mettre au service du monde chrétien ou est-ce le monde chrétien qui a soufflé à Jésus la morale nécessaire ? Karl Marx a-t-il servi le monde prolétarien ou est-ce le monde prolétarien qui s’est servi de lui ? Vieux problème certes académique s’agissant du passé mais qui revêt une importance extrême s’agissant de l’avenir : car, si le premier processus est le bon, alors il faudrait que tous les penseurs de l’univers se mettent courageusement au travail et tentent de découvrir les éléments essentiels d’une nouvelle éthique tenant compte des conditions imposées à l’homme par un monde nouveau ; par contre, si la seconde démarche est la bonne, alors il ne nous reste plus qu’à attendre l’avènement d’un prophète ; et, en attendant, il nous faut vivre tant bien que mal et prier ardemment les forces obscures de nous envoyer au plus tôt le messie dont nous, peuples fabricants de fusées, avons déjà besoin.